Introduction

Pour aujourd'hui j'aurais bien demandé à Audrey de nous présenter aujourd'hui ce qu'elle a écrit dans un article qu'elle a présenté avec Elzbieta Sanojca « Quelle pédagogie de l’alternance pour former dans une société en transition ? un module de formation articulant robustesse, coopération et circularité » qui nous servira de témoignage et propose aussi une première grille d'analyse en pédagogie avec la robustesse.

Je vous demande votre indulgence parce que ce n’était pas prévu et ce n’est pas très stabilisé.
J’ai un diaporama présenté lors d’un colloque de pédagogie qui peut servir de support à ce retour d’expérience (improvisé)
Pour vous remettre le contexte, on intervenait dans un colloque de pédagogues (RésAAlt "Réseau pour l’Apprendre en Alternance", les 20 -22 novembre 2024 à Lyon), c’était un peu compliqué parce que je ne l’avais jamais fait, je suis enseignante mais je viens d’une culture de l'éducation populaire ; je me suis vraiment formée à la pédagogie en faisant. Cela détonnait un peu par rapport au reste du colloque, mais au final, c'était chouette et intéressant.
Parce qu'il y avait toutes sortes de présentations, j’ai repris la définition de la robustesse, cela nous permet de nous la remettre en tête. La capacité d'un système à se maintenir stable sur le court terme est viable sur le long terme, malgré les fluctuations.
Avec un certain nombre de caractéristiques que vous avez rappelé tout à l'heure, et dont parle Olivier Hamant, que sont "la lenteur, les erreurs, les incohérences, la redondance et l'hétérogénéité".
Je vous passe tout le début du diaporama où j'explique le cours, qu'on est en licence de formateur, etc...
(seux diapos reprises ci-dessous pour info).
la licence FCIS
image diapo_licence.jpg (43.2kB)
L
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La question que je pose, c'est : comment est-ce que l'on peut avoir des applications concrètes et quel retour d'expérience sur la mise en oeuvre pédagogique ?
Je suis partie du cours que je donne, pour voir quels sont les éléments où, selon moi, il y a de la robustesse et quels sont les éléments que j'identifie comme étant plus difficile ou compliqués ?
Première question faire vivre la coopération, je pense qu'un certain nombre de vous travaillent sur ces questions et s'y intéressent. Dans mon cours l’Unité d'Enseignement (UE : "Former dans une société en transition") est au début de l'année et l'un des objectifs de ce cours, est de travailler sur les dynamiques de groupe, la dynamique collective, puisqu'ils se sont rendus compte au bout d'un certain nombre d'années, que ça ne prenait pas ou pas très bien et parce que ce n'était pas un sujet qui était abordé en tant que tel. Du coup, un des enjeux de mon cours est de comment mettre ses étudiants en coopération et les sortir des logiques de compétition entre eux. Un des postulats, issu d'une formation qui s'appelle Animacop, est que c'est en faisant vivre des petites expériences irréversibles de coopération, que ça marche, et pas forcément en faisant des grands discours. De mon point de vue il y a plusieurs ingrédients clés :
  • • Le premier, qui est hyper important et qui est éprouvé, c'est la question du cadre commun. On commence toujours par fabriquer ensemble nos règles de fonctionnement avec cette question : de quoi j'ai besoin pour me sentir bien dans le groupe et que le groupe fonctionne correctement ? avec ce double enjeu : mes besoins, les besoins du groupe. Un cadre commun que l’on vient amender au fur et à mesure des séances. Cette année, ce qui est intéressant, c'est qu'une prof a décidé de reprendre ce système de cadre commun qu'ils ont posé, au deuxième semestre, où je n'interviens plus et on essaie de travailler cela dans le cadre de l'intégralité de l'année.

  • • Le deuxième, qui paraît évident, mais qui ne l’est pas en fait, c'est la question de l'interconnaissance. Je le travaille avec eux de plein de façons : on a un trombinoscope sur notre plateforme de formations, on fait beaucoup de brise-glace, on fait beaucoup d'activités où on apprend à se connaître. C’est à l’université et au départ cela leur paraît assez déroutant et en fait cela fonctionne.
Dans la coopération, il y a beaucoup de choses qu'on fait ensemble. On fait de la co-ecriture, ils fabriquent des déroulés ensemble, en cours on travaille sur l'écoute, sur les compétences coopératives, la reformulation, la question du dialogue et aussi beaucoup d'analyse réflexive: qu'est-ce qui s'est passé ?, pourquoi ça s'est passé comme ça ? pourquoi, moi, j'ai fait ces choix pédagogiques là ? qu'est-ce qu'on aurait pu faire comme choix ? qu'est-ce que ça apporte ? c'est quoi, les limites ? etc. Ce qui permet aussi, de mon point de vue, de remettre en question ce que je fais avec à chaque fois une posture relativement horizontale qui est un peu déroutante pour eux : je suis une formatrice qui vient apporter mon expérience professionnelle. Ce sont des adultes en reconversion, ils ont parfois mon âge ou sont parfois plus âgés que moi et je ne suis pas dans une posture de prof descendante.
J'ai aussi un gros boulot sur la question des communs, c'est-à-dire qu'est-ce qu'on fabrique ensemble. On a une plateforme Yeswiki avec des contenus partagés qui’ils peuvent alimenter et on travaille sur les conditions du partage ; les cours sur les licences libres : qu'est ce que ça implique de partager? des cours sur les communs, sur l'histoire des communs, etc.
Pour moi, ce sont les ingrédients clés de ce que je leur raconte sur la coopération avec le fait de leur faire vivre à eux, en tant que groupe apprenant qu’un groupe, ça prend beaucoup de temps à fabriquer au démarrage et que ce temps, il faut le prendre et qu'il ne faut pas le rater alors que c'est très souvent passé à la trappe notamment dans une logique d'efficience, d'efficacité, etc... il faut aller vite, vite, où Il faut aller tout de suite dans le contenu au lieu de travailler ces liens et l'identité commune.
Dans les questions de robustesse , il y a la question de la circulation et donc on a aussi interrogé la question de la circulation des savoirs : comment est-ce qu'on fait circuler les savoirs entre leur situation professionnelle et les savoirs académiques ? En reformulant le contexte ce sont des personnes qui sont en alternance : trois semaines en stage et une semaine en cours par mois. Pour eux, il y a un gros enjeu d'arriver à se demander comment on met en lien ces différents savoirs ?
Dans mon cours, relativement classiquement je récupère leur situation professionnelle dans des accélérateurs de projets qui sont un peu du type de l'analyse de pratiques ou quand ils doivent, par exemple, créer des déroulés et je leur fait prendre des situations professionnelles, etc. Et puis à l'inverse, comment est-ce qu'on leur fournit des sujets, des outils qui vont leur servir dans leur sphère professionnelle. J’essaie de les outiller avec des outils numériques collaboratifs, avec des outils d'animation qu’ils vivent, qu’ils peuvent expérimenter, animer et qu’ensuite ils vont pouvoir récupérer.
Et puis j'essaie d’attraper les sujets qui les intéressent. Par exemple, cette année, on a beaucoup parlé d'Intelligences Artificielles parce que ce sont des choses qui sont apparues et pour lesquelles ils n'avaient pas forcément de cadre pour réfléchir, interroger ce que ça venait bouleverser et puis, pour certains aussi, déjà, découvrir. Donc, on a fait un temps de découverte, un temps de discussion, un temps de débat. Il y a vraiment cette question d'essayer à la fois d'être attentive à ce qui les anime et d'essayer de faire circuler cela. Et puis il y a une circulation temporelle avec cette plateforme wiki, ou on a une transmission d'une promo à l'autre de ce qu'ils ont fait, des notes qu'ils ont prises, des synthèses, et puis aussi de leur production, quand je leur fais faire des déroulés, etc. ; tout cela est mis à disposition des suivants. Avec un certain nombre de questions sur le fait que c'est regardé ou pas, ce sont des tentatives, tout ne fonctionne pas.

Du coup, j'ai essayé de reprendre rapidos, c’est hyper sommaire, mais bon, je vous pose mes questions là.

Dans la pédagogie: comment privilégier la robustesse à la performance ? comment appliquer ces principes du vivant à la pédagogie ?

L'hétérogénéité, il m'apparaît que c'est assez facile : des participants différents, des intervenants différents, des outils, des lieux dedans, dehors, etc. Quelque part, le principe d'hétérogénéité, de mon point de vue, c’est celui sur lequel on a presque plus la main. C’est celui qui me paraît le plus simple.
Je les ai un peu classés du plus facile au plus difficile.

La lenteur, ou les lenteurs : je suis quelqu'un d'assez lent, donc c'est quelque chose qui me va bien, d'adapter les activités et les programmes. Avec un peu de bouteille en plus, j'ai tendance à arrêter d'essayer de bourrer les contenus des étudiants, je laisse du temps, je laisse du mou et cela marche.

La redondance peut-être qu'il y a des choses que j'entends mal, mais aussi, à première vue, en tant que prof, c'est facile. La redondance c'est la répétition et c'est la base de la pédagogie. En fait, c'est pas si simple, parce qu’il y a, en fait parfois beaucoup d'incohérences pour les étudiants. Par exemple, j'ai une plateforme de formation avec Yes wiki, et puis il y a Moodle pour la fac. Je trouve ça intéressant, parce que cela fait de la redondance de plateforme, et puis cela fait de l'hétérogénéité, etc. Pour les étudiants, il y a quelque chose qui est de l'ordre de « on les perd ».

La question des erreurs : c'est pareil, on passe notre temps à répéter que pour apprendre, il faut tenter, il faut se tromper, c'est la base du raisonnement scientifique … mais une fois qu'on l'a dit ? En tant que formatrice, quand je me plante, et ça m'arrive évidemment, j’essaie de le souligner et de dire : voilà, vous voyez, par exemple, je vous ai donné une consigne complètement à côté, maintenant, vous voyez bien, vous n’avez rien compris à l’exercice, et vous revenez avec quelque chose qui n'est pas clair. Comment est-ce qu'on aurait pu formuler cela différemment ? J'ai du mal à me désintoxiquer de cette question du faire bien faire, ne pas se tromper.

Et puis la question des incohérences. C'est ce qui me pose vraiment vraiment le plus de difficultés. On est dans des mondes où a des objectifs, des activités, etc. où on nous demande au contraire d'être excessivement cohérent. Et donc mettre de l'incohérence là-dedans, j'ai trouvé ça super difficile. J'ai bien vu que quand je leur faisais cours, au début de chaque cours, j'avais mes objectifs parce que je suis formaté comme ça en tant que formatrice. Mais peut-être que que c'est moi qui entend mal la question d'incohérence et qu'il faudrait l'entendre différemment, mais je vous livre ça en tout cas, comme mon champ de questionnements

Et les questions à la fin.
  • • La question systémique, c'est la question qu'on s'est posée là en commentant : dans un système extrêmement optimisé, quid de l'échelle, quel changement un cours parmi d'autres peut-il produire?
  • • Peut-on s'appuyer sur un concept émergent pour justifier la pratique pédagogique ? effectivement la robustesse est un concept émergent. Certains disent oui, la robustesse, Finalement, est-ce que ce n’est pas une espèce de de récupération de plein de concepts qui existent ? Est-ce que c'est un concept pertinent en pédagogie ?, c'était une vraie question pour un colloque avec des chercheurs.
  • • Et puis, ça pose aussi- et ça me posait- la question de l'engagement sociétal dans la pratique d'enseignant-chercheur. Comment est-ce que l’on situe nos interventions et quelle est la limite de la militance?

Merci beaucoup . Est ce que sur ce premier témoignage vous avez des questions, remarques, réactions ?

Est-ce que tu peux commenter s'il te plaît la dernière question, quelle est la limite de la militance ? à quoi fais-tu référence là-dedans ?

Le fait que mes cours, par exemple sont très clairement situés dans les questions de coopération, de logiciels libres, de comment faire ensemble. Même si je dis : je vais vous faire découvrir quelque chose, c'est mon opinion, c’est un parti pris, je le porte. Quand on pose la question aussi de la robustesse, on peut se poser la question aussi d’une posture politique, en fait, j’essaie de le situer, de dire d’où je parle.

Une petite réaction : j’ai envie de dire qu’en fait tout est déjà politique, mais on ne veut pas reconnaître que c’est déjà politique, tu te poses la question de la militance et tu es la seule à se poser la question que l'ensemble des choses sont déjà politiques sans que les gens se posent la question. C’est un peu comme s’il y avait un énorme statu quo qui est là et toi là la petite fourmi tu es en train de demander bonjour, est-ce que je peux vous déranger, s'il vous plaît? Il faut aussi qu’on dérange un peu et que les questions politiques se posent. Comment, effectivement, comme tu le dis, on assume que c'est politique ? comment on amène le débat, comment on en parle ?

  • Ah oui, tout est politique, je plussoie, notre manière de faire cours est politique, il faut qu'on apprenne à s'engager en tant que qu'enseignant et chercheur. Alors merci, pour ta présentation, c’est très éclairant. Cela montre qu'on peut se poser plein de questions autour avec ce point d'entrée de la robustesse sur la pédagogie. Pourquoi c'est de la robustesse animacoop ? depuis combien 10 ans ? mais en même temps, la robustesse, aujourd'hui, c'est la suite d'animacoop  Ce qui me renforce dans ce que je disais tout à l'heure, c'est quand tu parles d'hétérogénéité, d'erreurs, d'incohérences et que c’est plus ou moins compliqué à intégrer dans les cours. Pour moi, c’est un peu l’inverse, l'hétérogénéité est super complexe- parce que c'est une question d'interdisciplinarité, l’hétérogénéité, on a du mal à la porter qu'en tant qu'enseignant ; les erreurs, pour moi, c'est la base de l’enseignement ; les incohérences, justement, il faut qu'on apprenne à gérer des incohérences, notamment dans tous les sujets qui nous intéressent, parce que l'incohérence, c'est la base du débat, c'est ce qui va te permettre d'avancer. L’incohérence, fait partie intégrante d'une bonne pédagogie, où on se pose des questions et on fait de la question critique. Ce qu’il faut c’est qualifier ces caractéristiques qui sont des sous éléments du système pédagogique. Il faut qualifier, qu'est ce que c'est que la redondance d’un système pédagogique, la redondance au niveau d'un système classe, d'un étudiant, des ressources, etc. il y a à clarifier. Avec un grand merci. Du coup, je sais pourquoi je suis là.

Merci beaucoup c’était chouette, et merci aussi de l’idée de partir de quelque chose de très concret à partir duquel nous, on peut aussi apporter. Le parti pris aussi qu'on a adopté parce qu'on a amené ce sujet de la robustesse à plein d'endroits et en fait, à des endroits assez précis, comme des UE ou des cours et en appui à des endroits où c'est un concept. Rapidement on s'est dit que, oui, il fallait ouvrir la boîte du mot- mais comme de tous les mots en fait, je crois et commencer à rentrer dedans. Qu'est-ce que ça veut dire hétérogénéité, lenteur, incohérences ? Je pense que sans une formation ce n'est pas évident, comment fonctionne vraiment un système vivant ? qu'est-ce que c'est que la vie ? on a du mal à comprendre ce qu'est l'incohérence et l'incohérence, en fait, on peut mal la traduire parce qu'elle a vraiment à voir avec quelque chose au niveau du système, mais aussi, dans une temporalité. Le système fonctionne de façon incohérente parce qu'il dure dans le temps et c'est le fait que l’on puisse faire une chose et son contraire en même temps, longtemps et que ça se reproduise qui fait que l'incohérence, en fait, est sélectionnée au cours de l'évolution. En fait, il peut y avoir beaucoup de cohérence à des moments donnés, dans des systèmes incohérents dans le temps, et cela ce sont des nuances qui rendent les choses un peu complexes. Dans ces sujets-là, c'est là où je trouve vraiment intéressant ce que tu amènes en disant mais comment, moi je peux traduire l'hétérogénéité typiquement. Là je rejoins aussi un peu ce qui était dit précédemment, l'hétérogénéité, n’est pas si facile dans le public qu'on a, ils sont pas si hétérogènes que cela.Il y a plein d’endroits où il n’y a pas tant que cela d’hétérogénéité dans le public étudiant. En tout cas, merci, parce que moi, je trouve que c'est bien en essayant de traduire vraiment ces grands principe-là, à différentes échelles qu’on donne corps. Et peut-être celui sur lequel moi, en terme de alors vraiment très opérationnel, qui m'éclaire le plus depuis longtemps dans ce que je fais et c'est quelque chose que je fais pour le coup en dehors, quand je design un projet en permaculture à une échelle qui peut être un projet d'organisation ou un projet, comme un jardin, et là en appliquant vraiment les principes de la permaculture, ils deviennent très concrets. Typiquement redondance pour moi, c'est pas je mets un élément dans mon système, je mets un module dans mon offre de formation, il doit couvrir plusieurs objectifs pédagogiques. J'ai un objectif pédagogique, il est couvert par plusieurs modules. Là, je fabrique de la robustesse. Typiquement en informatique, on ferait vraiment le contraire dans un certain type d'informatique, mais on a optimisé en fait. En optimisant, on s'assure qu’il n’y ait jamais de redondance (telle une base de données). Et la permaculture, pour moi, m'a donné des clés avec les grands principes, les douze grands principes, on peut en ajouter d'autres, mais très opérationnels, pour essayer de traduire dans une offre de formations, dans un projet commun hétérogénéité, robustesse, lenteur, incohérences, il y e en a pas mal d'autres. Merci pour cette super base qui donne envie de de creuser ça aussi. Et puis, je me dis que, dans l'idée de sortir des études de cas, ça va être chouette derrière quoi.